TC La lettre 21 mars 2024
Les étrangers, une chance pour la catholicité
Le Service national de l’Eglise catholique Mission et Migrations (SNMM) a organisé le 12 mars 2024 une journée d’étude sur le thème " Frontières, Méditerranée et migrations ". Interview du directeur, le père E. Millot
Quels sont les défis à relever pour un service comme le vôtre, dédié à la « pastorale des migrants » ?
Deux tiers des diocèses de France disposent d’un service diocésain pour la pastorale des migrants. Les catholiques engagés dans ces services agissent en lien avec les associations de solidarité qui oeuvrent dans ce domaine. Leur rôle est aussi de favoriser une meilleure prise en compte de ces populations dans la vie des communautés chrétiennes. Au nom de l’Evangile, et dans la droite ligne de la pensée sociale de l’Eglise, nous cherchons à cultiver une culture de l’accueil et de la rencontre. Mais il faut bien le reconnaître, les obstacles sont nombreux.
Quels sont-ils ?
Nous devons nous battre contre toutes sortes d’idées reçues alimentées par de fausses informations et par des campagnes de désinformation. Nous battre aussi contre des discours véhiculés par certains responsales politiques, qui ont fait de l’immigration et des dangers qu’elle est supposée représenter leur fonds de commerce. Non, les migrants ne mettent pas en danger notre civilisation. Non, notre pays n’est pas victime d’une déferlante migratoire. A cet égard, le concept de « grand remplacement » n’est qu’un pur fantasme. Non, les exilés qui trouvent refuge chez nous ne viennent pas pour y chercher quelques avantages sociaux. Ils veulent surtout sauver leur peau et trouver une vie meilleure.
Comment expliquez-vous les réticences de l’opinion publique, notamment catholique, face au phénomène migratoire ?
Nos concitoyens subissent une crise politique et sociale sans précédent. Et vivent une forme d’insécurité morale et culturelle. Les catholiques eux-mêmes se sentent fragilisés dans leur foi, dans leur pratique. Peut-être manquent-ils de confiance en eux, en Dieu ? Une chose est sûre : en période de crise, les étrangers sont de formidables boucs émissaires. Dans certains programmes politiques comme sur les réseaux sociaux, les discours démagogiques ont le vent en poupe. Cela n’aide pas les gens à comprendre que les migrants ne représentent pas une menace. On a beaucoup parlé ces dernières années de « crise migratoire ». Or, ce n’est pas vrai. Notre pays ne souffre pas d’une crise migratoire. Notre pays souffre d’une crise de l’accueil et de l’intégration. Dans quelques années, avec le réchauffement climatique, avec les inégalités sociales et économiques entre l’hémisphère nord et l’hémisphère sud, avec les guerres et l’instabilité de nombreux Etats dans le monde, nous connaîtrons peut-être une crise migratoire.
D’où l’importance des frontières…
Si ce n’est qu’aucune frontière ne pourra nous protéger. Certains pensent qu’il est possible d’en faire des murs infranchissables. C’est totalement irréaliste. Une frontière - c’est ce qui ressort de notre journée d’étude -, ce n’est pas un mur. Et, dans un monde ouvert, ça ne le sera jamais. C’est un lieu de passage, régulé certes, mais de passage quand même. Même en Corée du Nord, aucune frontière n’est hermétique. Et, il faut le dire, les frontières resteront toujours des lieux de passage. Face au phénomène migratoire, la réponse est donc ailleurs.
Quelle réponse apporter à ce défi ?
Nous pouvons nous engager pour le développement des pays les plus pauvres, dans la recherche de la paix, dans le partage, dans la culture de la rencontre. Pour les catholiques, il s’agit d’un devoir missionnaire. La vocation chrétienne c’est de vivre la rencontre, l’accueil et le dialogue avec des hommes et des femmes des quatre coins du monde. Dans les grandes villes, dans les cités, nos assemblées sont de plus en plus mélangées, colorées, les prêtres africains de plus en plus nombreux… Cette interculturalité est une chance offerte à notre catholicité. Le mot ne signifie-t-il pas « universel » ? Voilà le défi qui nous est lancé : vivre concrètement l’universalité de l’Eglise.
Propos recueillis par Laurent GRZYBOWSKI