"Sans eux, je ferme"

Article du Monde (30 juin 2022)

Restauration, bâtiment… de nombreux patrons défendent un meilleur accès aux titres de séjour

Avec bagou et passion, souvent une cigarette roulée entre ses doigts, Etienne Guerraud parle des heures de son affaire, la « dernière grande brasserie indépendante de Paris ». Pour faire tourner Le Café du Commerce, dans le 15earrondissement, il recourt depuis des années à une main-d’œuvre étrangère. « Sans eux, je ferme boutique », dit-il, sans détour. Les étrangers représentent 40 % de ses quelque cinquante salariés. Il y a Idriss et Hamadi, deux Mauritaniens, pâtissier et commis de cuisine, mais aussi Dieuvenor, un plongeur haïtien et Mamadou, un cuisinier malien… « Je ne les échangerais pas pour un Gaulois, ce sont des gars super. »

Les procédures de régularisation, Etienne Guerraud les connaît bien aussi. Combien de fois un salarié s’est présenté à lui, après plusieurs mois de contrat, pour lui avouer qu’il lui avait présenté à l’embauche la carte de séjour d’un autre et qu’en réalité, il est sans papiers ? On appelle cela travailler sous alias. A chaque fois, M. Guerraud a accompagné ses salariés tout au long de la fastidieuse et incertaine procédure de régularisation par le travail.

Selon la circulaire ministérielle de 2012, dite Valls, qui fixe les critères selon lesquels un préfet peut exceptionnellement accorder un titre de séjour à un travailleur, celui-ci doit présenter vingt-quatre feuilles de paie, être présent en France depuis au moins trois ans et présenter une promesse d’embauche. Un peu plus de 8 000 personnes en ont bénéficié en 2021.

Rien de simple. Dieuvenor, le plongeur haïtien de 30 ans, qui réunit toutes les conditions de régularisation depuis juin 2021, n’a obtenu un rendez-vous à la préfecture des Yvelines qu’en décembre 2022 pour déposer sa demande de titre de séjour. Il lui faudra attendre certainement plus d’un an avant d’avoir une réponse. D’ici là, il a « peur ». « On est au bout du bout, lâche Etienne Guerraud. Il faut simplifier les choses. »

Julia Pascual